le plus ancien cinéma du monde

L’extraordinaire histoire de l’Eden, plus ancienne salle de cinéma du monde, commence à Paris. A l’occasion d’un convent maçonnique, le photographe lyonnais Antoine Lumière fait la connaissance du Ciotaden Antoine Sellier, chef mécanicien des chantiers navals, qui lui vante l’exceptionnelle qualité de la lumière des paysages du Golfe d’Amour propice aux talents de peintre de son nouvel ami. Immédiatement séduit, Antoine Lumière qui a fait fortune grâce aux Etiquettes bleues, plaques photographiques inventées par son fils Louis, construit une demeure somptueuse sur les bords de la Méditerranée, le Château Lumière qui devient en 1893 la résidence estivale de la famille. Antoine Lumière se lie d’amitié avec le propriétaire de l’Eden Théâtre, Raoul Gallaud, et c’est l’amitié de ces deux hommes qui va faire de la salle de spectacles du Boulevard de la Tasse, le lieu de projections des premiers films Lumière. 

L’Eden Théâtre, construit en 1889 par l’entrepreneur de spectacles Alfred Seguin, est alors une salle populaire où se succèdent des représentations théâtrales, des spectacles de music-hall et même des exhibitions sportives de boxe ou de lutte gréco-romaine. Durant l’été 1895, alors qu’il vient de déposer le brevet de l’invention du Cinématographe et de tourner à Lyon La sortie des usines Lumière, premier film de l’histoire du cinéma, Louis Lumière profite de la villégiature familiale à La Ciotat pour tourner une dizaine de films qui font du petit port provençal le véritable berceau du cinéma. 

Le 21 septembre 1895, Antoine Lumière convie la bonne société ciotadenne au Palais Lumière pour « quelques expériences de cinématographe ». Au cours de cette soirée « toute de famille et en tenue journalière », cent cinquante personnes assistent médusées à la projection d’une dizaine de films tournés par Louis à Lyon (Sortie des usines Lumière, Incendie d’une maison, Place des Cordeliers) et à La Ciotat (Baignades en mer, Le poisson rouge, Le dîner de bébé). Pour Louis, c’est le succès scientifique du cinématographe qui fait « bouger l’image », pour son père Antoine, c’est la sublimation maçonnique de « la vie éternelle ». 

L’ami Gallaud qui assistait bien entendu à cette soirée mémorable, convie Antoine Lumière à renouveler l’expérience dans sa salle de l’Eden, ce qui est fait quelques jours plus tard, le 14 octobre. Mais la projection tourne court car, si Antoine est un homme d’initiative, sa maîtrise technique est insuffisante. Cette séance inachevée est restée dans la mémoire des familiers des protagonistes mais ne constitue pas en réalité l’acte de naissance du cinéma à l’Eden. 

Persuadé que l’invention de ses fils apportera gloire et fortune à la famille Lumière, Antoine organise à Paris, le 28 décembre 1895, dans le Salon indien du Café de Paris une nouvelle projection des films présentés à La Ciotat. Trente-trois spectateurs payants, dont Méliès qui tente en vain d’acheter le brevet à Antoine Lumière. C’est cette date qui est retenue par l’histoire comme première séance commerciale de cinéma, mais les Ciotadens en connaissent le préambule. Dans les mois qui suivent, un double mouvement se produit : les opérateurs Lumière parcourent le monde pour tourner des films avec leur cinématographe, pendant que dans les grandes villes de France et d’Europe s’ouvrent des salles de cinéma. 

Le 21 mars 1899, deux cent cinquante Ciotadens assistent à la première séance payante de cinéma à l’Eden. Au programme, dix-neuf films Lumière parmi lesquels Caravane aux Pyramides d’Egypte et Lancement de navire à La Ciotat. Toutes les salles de cette époque ayant été détruites ou transformées en commerces ou parkings, la séance du 21 mars 1899, dont l’affiche est précieusement conservée, fait de l’Eden la plus ancienne salle de cinéma au monde encore en activité.