L’écran noir

Au début des années 1980, la crise économique qui frappe la cité avec les menaces de fermeture des Chantiers, se ressent bien entendu dans la fréquentation du cinéma Eden que les exploitants envisagent de vendre. La ville bruisse de rumeurs diverses concernant le devenir de l’établissement : brasserie ? hôtel ?

Coup de tonnerre le 3 décembre 1982. L’Eden bascule dans le film d’horreur. Alors que s’achève la projection du film Deux heures moins le quart avant Jésus- Christ, le jeune gérant du cinéma est tué dans son établissement lors d’un braquage.

L’écran s’éteint après une dernière projection de Il était une fois l’Amérique. Si on excepte les incursions annuelles du Festival du Berceau du Cinéma qui tente d’entretenir la flamme de l’Eden, la salle restera fermée pendant trente années interminables.

Quelques nouvelles viennent parfois redonner espoir aux partisans de l’Eden, véritable « Cinéma Paradiso » de La Ciotat : le 1er avril 1992, la municipalité rachète l’Eden en sommeil, l’arrachant au risque permanent d’une démolition et effectuant ainsi un premier pas vers une réhabilitation possible des lieux, et le centenaire du cinéma en 1995 est l’occasion de manifestations encourageantes, balayées par la fermeture de l’Eden à l’automne « par mesure de sécurité ».

L’année suivante, le 12 février 1996, se produit une avancée décisive dans le dossier de sauvegarde du lieu : l’Eden est inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. Cette inscription, même si elle est d’un statut inférieur au classement, constitue une reconnaissance de « servitude d’intérêt public » par l’institution, et attribue de fait au bâtiment concerné la protection attachée au code du patrimoine. L’Eden, comme le Palais Lumière, fait désormais partie des 30 000 sites environ inscrits au patrimoine culturel français.

Mais les nouvelles de la santé de l’Eden ne sont pas bonnes. Laissée à l’abandon, servant parfois d’entrepôt, minée par les infiltrations d’eau de pluie, la salle se détériore rapidement. Le beau velours rouge des fauteuils est souillé, le plancher de la galerie montre des signes de faiblesse, le balcon à l’italienne est en berne. L’écran glorieux est noir de honte.