Les Enfants du paradis

Quand on interroge les Ciotadens d’aujourd’hui sur leurs souvenirs de l’Eden, la réponse fuse immédiatement : « Ah, l’Eden (avec l’accent), on y allait pour voir les filles ! » C’est à croire que la moitié de la ville a rencontré l’autre moitié au balcon de l’Eden. Comme quoi, les Enfants du Paradis n’étaient pas des anges…

A l’époque du cinéma muet, l’Eden était réputé pour la qualité de son « bruitage ». Toute la famille des propriétaires participait à l’accompagnement sonore des scènes qui se déroulaient sur l’écran, un pianiste assurant derrière le rideau de scène la partition musicale de circonstance. Outre cet accompagnement musical indispensable, les employés effectuaient le bruitage adapté à la scène : « Les assiettes cassées accompagnaient Charlot, un siffleur imitait le train, et des pois chiches judicieusement jetés sur une tôle évoquaient la pluie ou l’orage ! »

Un soir, Laurent Barthélémy, nouvel exploitant de la salle, remarque un comique troupier au physique exceptionnel qu’il invite à se produire en intermède à l’Eden sous le nom de Cavalier Lafleur. L’immense talent comique de Cavalier Lafleur amène le patron de l’Eden à le présenter au directeur du Capitole qui l’engage : Fernandel était lancé !

L’année 1931 est celle du premier film parlant à l’Eden, un mélo, La Route est belle de Robert Florey avec le baryton André Baugé, c’était le 31 août. « Ce fut du délire, la salle était muette d’admiration, comme stupéfiée » raconte la journaliste de La Marseillaise « certains pleuraient d’émotion, et à l’entracte tout le monde se serrait la main et se congratulait, comme pour une cérémonie »…

Le passage d’Edith Piaf à La Ciotat en 1938 se fait à l’invitation de son accordéoniste et compositeur Juel, (Au Lycée Papillon, Mon amant de la coloniale…) qui n’est autre que le fils de Raoul et Adélaïde Gallaud, né à l’Eden… Pendant la guerre 1939-45, la scène de l’Eden accueille de nombreuses revues et les Ciotadens ont ainsi pu découvrir les vedettes du genre, comme Reda Caire et Milly Mathis, Alibert et Fernand Sardou…

Autre vedette de l’époque, Rina Ketty. L’interprète de J’attendrai est en retard, très en retard. Plus d’une heure, et le public s’impatiente, quand la vedette arrive, éblouissante… et éblouie : « Je regardais un magnifique coucher de soleil sur le Golfe… ».

C’est cette année-là que débarque sur la scène de l’Eden « un grand escogriffe » habillé en marron, chantant Dans les plaines du Far-West avec le style qui fera de lui le grand Yves Montand. Les portes de saloon qui donnaient sur le hall d’entrée de l’Eden ont dû apprécier le passage de ce cow-boy débutant.

Succès immense de Charles Trenet, le 2 mai 1940, « seul sur scène, avec une présence incroyable ». Fernandel, Trenet, Montand, Blier… l’Eden porte chance aux débutants.