Les Lumière et La Ciotat

LES LUMIERE, UNE TRILOGIE INVENTIVE
Né à Ormoy (Haute-Saône) en 1840, Antoine Lumière s’installe avec sa femme Jeanne-Joséphine Costille à Besançon, où il devient un photographe de renom. Après la naissance d’Auguste (1862) et de Louis (1864) la famille quitte Besançon pour Lyon. Les deux garçons font leurs études au lycée de la Martinière, établissement réputé pour son enseignement original qui influera sur leurs nombreuses réussites scientifiques. C’est l’association des compétences d’un père intuitif et de deux fils de génie, qui provoque la réussite de toute la famille, à commencer par l’invention des « Etiquettes Bleues », plaques sèches au gélatino-bromure d’argent utilisées par les photographes et fabriquées dans les usines de Monplaisir. La mise au point du cinéma-tographe en 1895, consacre la réussite technologique et com-merciale de la trilogie des Lumière. Suivront les autochromes, photographies en couleurs en 1903, la photographie en relief en 1920 et le cinéma en relief en 1935. Savants universels, les deux frères ont déposé, ensemble ou séparément, plus de 200 brevets dans de nombreux domaines technologiques et médicaux, dans une fraternité joyeuse qui les rend indissociables. A cette inventivité permanente, il faut ajouter une ouverture d’esprit généreuse et discrète qui s’exerce notamment dans les soins gratuits prodigués aux blessés de la Grande Guerre.

L’INVENTION DU CINEMA PAR LES FRERES LUMIERE
Lorsque Louis Lumière entreprend ses recherches, d’autres appareils reproduisant le mouvement de l’image existent déjà. Il analyse les qualités et les défauts de chacun des systèmes proposés pour concevoir son Cinématographe. Louis Lumière fabrique un outil maniable puisque le Cinématographe permet à la fois de prendre des images, de les développer et de les projeter dans une salle obscure, sur grand écran. Le 30 mars 1895, les deux frères déposent le brevet de leur invention et donnent alors le nom de « cinématographe » à l’appareil. Durant l’été 1895, Louis met la touche finale au fonctionnement de l’appareil en réalisant de nombreux tournages à La Ciotat. S’ensuivent quelques projections expérimen-tales à l’intention d’un public scientifique (Neuville-sur-Saône) ou privé (La Ciotat) mais la première projection payante du Cinéma-tographe a lieu le 28 décembre 1895 au Salon Indien du Grand Café, à Paris, devant 33 spectateurs, dont Méliès. Le programme propose ce jour-là dix films d’1 minute dont La sortie de l’Usine Lumière à Lyon, La Pêche aux poissons rouges, L’Arroseur arrosé, Le Repas de bébé, La Mer (Baignade en mer). Contrairement aux idées reçues, le film L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, ne fut projeté que lors de la 2ème séance. L’enthousiasme des spectateurs est tel que bientôt des files d’attente se pressent devant cette nouvelle attraction. Pour développer son exploitation, la famille Lumière fait appel à des opérateurs qui partent tourner des images dans le monde entier.

LES OPERATEURS LUMIERE
Le succès obtenu étonna les inventeurs eux-mêmes, qui décidèrent d’exploiter commercialement et de façon méthodique les propriétés de cette étrange « machine à reproduire la vie » : le Cinématographe Lumière. Les frères Lumière tournèrent eux-mêmes les 1ers films et formèrent une cinquantaine d’équipes de « cinématographistes » qu’ils envoyèrent sur les 5 continents pour diffuser et faire connaître leur invention. Composées de 2 hommes, ces équipes travaillaient sous la direction de « concessionnaires » chargés, pays par pays, d’organiser l’itinéraire de ceux qu’on appelait aussi « les tourneurs de manivelle ». Le réseau de photographes et de distributeurs (dans le monde entier) des fameuses plaques photographiques « Etiquettes bleues » fabriquées par la firme Lumière fut aussi un support administratif efficace pour l’expansion des premières images animées. En 6 mois, la planète entière reçu la visite, bourgade par bourgade, ville par ville, de ces spectacles qui révélèrent à des foules enthousiastes une perception nouvelle du temps : « Nous allons tous revivre éternellement », écrivent certains journalistes, ou encore, comme à Lyon par exemple, « la mort est vaincue par la science »… Les opérateurs devinrent ainsi les premiers projectionnistes, puis les 1ers cinéastes de notre histoire. Certains devinrent de véritables vedettes :
– Félix Mesguich, qui écrira ses mémoires (Tour de manivelle)
– Félicien Trewey, prestigiditateur converti au cinématographe
– Promio, opérateur en chef de la firme Lumière et réputé « inventeur » du 1er travelling
– Marius Chapuis, jeune homme du quartier de la Croix-Rousse à Lyon, âgé de 16 ans et qui cherchait un métier d’avenir
– Francis Doublier…

 

LA FAMILLE LUMIERE A LA CIOTAT
Séduit par la lumière du Golfe d’Amour que lui a vantée son ami Lazare Sellier, ancien des chantiers navals ciotadens, Antoine Lumière fait construire en 1893, au Clos des Plages, un magnifique château appelé Palais Lumière où la famille prend l’habitude de passer ses villégiatures d’été. Outre cette résidence, Antoine Lumière fait l’acquisition de nombreux domaines qui lui permettent de cultiver la vigne et même d’installer un port dans lequel est amarré le bateau familial. La famille Lumière fait preuve de générosité envers les enfants des écoles et offre le terrain pour construire l’école publique de Saint-Jean. Le Palais Lumière est le lieu de très fréquentes réceptions de personnages officiels, ministres ou industriels, mais également de scientifiques comme le photographe Nadar. C’est au Palais Lumière que, le 21 septembre 1895, Antoine invite 150 personnes à assister à «quelques expériences de cinéma-tographe». Cette séance du Clos des Plages constitue en fait la première pré-sentation publique du cinématographe Lumière.

Mais le Clos des Plages est avant tout la résidence où Antoine aime réunir l’ensemble de la famille, nombreuse et solidaire. Ce sont ces scènes de vie familiale qui seront les sujets des premiers films tournés par Louis Lumière lors de la mise au point du ciné-matographe, et qui appartiennent au patrimoine mondial du cinéma. Les deuils familiaux qui s’enchaîneront après le décès d’Antoine en 1911, provoqueront le départ des Lumière en 1925, mais La Ciotat demeure la Ville des Lumière et Auguste la décrit en 1935 comme «le lieu de prédilection où tous les miens aimaient à se réunir dans une heureuse atmosphère d’affection ».

LE MONUMENT LUMIERE
En-dehors de la locomotive fleurie située à l’entrée de ville, c’est évidemment le monument érigé sur le front de mer en hommage aux Frères Lumière en 1958 qui est la trace la plus officielle de la reconnaissance de la ville. Le monument en pierre de Provence, dans le plus pur style « beaux-arts », œuvre du sculpteur marseillais Louis Botinelly, découpe sur le fond bleu de la mer, un écran surmonté des médaillons présentant les profils des savants encadrant une représentation du globe terrestre entourée de la phrase : « Le cinématographe fait connaître le monde ». Sur cet écran naturel, une toile représentant L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat avait été disposée le 10 août 1958, jour de l’inauguration, à laquelle assistaient Suzanne et Yvonne, filles de Louis, et Henri Lumière, fils d’Auguste. Un jeune artiste ciotaden a participé à la taille de ce monument : le peintre Robert Michel avait alors 16 ans et « faisait » les Beaux-Arts à Marseille…

LES FILMS LUMIERE TOURNES A LA CIOTAT
Si La sortie des usines Lumière à Lyon constitue incontestablement le premier film de Louis Lumière, parmi les 20 premiers films de l’histoire du cinéma, la moitié a été tournée à La Ciotat durant l’été-automne 1895. Le plus célèbre est évidemment Le train entrant en gare de La Ciotat, qui relate l’arrivée dans la petite gare du train en provenance de Marseille, avec parmi les voyageurs Joséphine Lumière, mère des inventeurs, et Suzanne, fille de Louis. Le monstre de fer surgissant de l’écran est une image qui a frappé le public de l’époque et fait dire à Franju qu’il s’agissait du « premier film d’épouvante ». Tout aussi fameux est L’Arroseur arrosé, dont une des trois versions a été tournée dans les jardins du Palais Lumière, avec François Clerc jardinier de la famille dans son rôle, et le jeune Ciotaden Léon Trotobas dans celui de l’espiègle. Il s’agit du véritable premier film scénarisé.